Title: Pour Cr�er Il Faut Errer, Se Dissiper
Source: Le Monde (France), November 23, 2006. Transcript as published on Le Monde site, 2006. �Le Monde.fr, 2006
Date: published November 23, 2006
Key words: Orphans, Beefheart, Anti, public image
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Source: "From The Big Apple to The Big Easy" benefit for Hurricane Katrina victims. Printed in Le Monde (France), November 23, 2006. Date: September 20, 2005. Radio City Music Hall/ N.Y.C./ USA. Credits: photography by Scott Gries


 

Pour Cr�Er Il Faut Errer, Se Dissiper

Tom Waits, chanteur am�ricain

Tom Waits a sa table � Little Amsterdam, un restaurant d'hu�tres hollandais perdu sur la route de Bodega Bay, o� Alfred Hitchcock tourna Les Oiseaux. Le chanteur californien s'est mis au vert en s'installant � une centaine de kilom�tres au nord de San Francisco, apr�s avoir longtemps camp� un clochard c�leste, titubant sur Sunset Boulevard et hurlant � la lune. L'�tablissement est pittoresque. Sur les murs, des photographies de l'artiste en compagnie du patron.

A l'�ge de 56 ans, Tom Waits est fid�le � son image : galurin, veste en jeans taille enfant, barbichette et, � port�e de main, une guitare italienne apparemment achet�e aux puces. Mais il ne fume plus et sirote du th� vert. A l'occasion de la parution d'un riche coffret de trois CD, Orphans ("Orphelins"), exhumant des chansons qui n'avaient pas trouv� place sur ses pr�c�dents albums, rencontre avec un des derniers po�tes beat.

Comment avez-vous donn� une unit� � ces chansons de diff�rentes p�riodes?

Le disque Bawlers regroupe les chansons lentes, celles qui donnent envie de pleurer � gros bouillon. Brawlers, celles qui sont plus blues et rythm�es, � l'image d'une bagarre dans un bar. Reste Bastards pour les "b�tardes". A mon sens, toute chanson tombe dans une de ces trois cat�gories : celles dont le tempo est plus lent que le rythme du coeur, celles qui l'�pousent et celles qui sont plus rapides.

A vos d�buts, en 1973, votre musique �tait tr�s orchestr�e. Pourquoi l'avez-vous simplifi�e au fil du temps?

Elle est devenue en effet de plus en plus d�pouill�e. Jusqu'� se r�duire � une phrase. J'ai besoin de quelque chose de rudimentaire, de fondamental. Et le spiritual est une forme vivante qui se suffit � elle-m�me. Il n'y a rien � y ajouter. Je pr�f�re aujourd'hui �crire sans instrument, seulement avec ma voix. En chantant � tue-t�te et en claquant des doigts. Cela me lib�re de l'ordonnancement du clavier ou de l'�chelle des frettes de la guitare.

Vous revendiquez donc le minimalisme.

La perfection est l'ennemie du bien. Prenez la musique pop, qui ressemble aujourd'hui � l'Arm�e du salut : on s'y �change de vieilles fringues. Vous pouvez mettre dix-sept instruments sur un morceau, il restera d�sincarn�. Ce qu'il faut, c'est des chansons. Ce qui est superficiel dispara�tra. Dans le hip-hop, une batterie et un orgue peuvent suffire. C'est sym�trique, satisfaisant. Et quelles sont les racines du hip-hop ? Le blues.

Quand avez-vous d�couvert le blues?

Quand j'�tais gamin, m�me si les artistes les plus importants pour moi �taient des gars de la country: Johnny Horton, Bobby Bare, Marty Robbins. Ce fut une transmission filiale: � San Diego, une famille de boh�miens vivait � c�t� de nous avec parmi eux un laitier �trange. Mon p�re et lui �changeaient des disques. Et l'organiste de l'�glise �tait fondu de blues. La musique se diffusait aussi par la radio, le bouche-�-oreille, les voyageurs. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus simple et je trouve m�me qu'il est trop facile de faire des d�couvertes. En cliquant sur votre ordinateur, vous pouvez trouver n'importe quelle chanson de n'importe quel artiste. Il y en a plus que n�cessaire, et il n'y a plus d'effort � faire. Je ne dis pas que c'est forc�ment mauvais. Mais, pour cr�er, il faut se battre, errer, se dissiper. Etre musicien, c'est tenter de conjurer le sort. L'id�e de combattre un ennemi invisible me pla�t. A la fin d'une journ�e pass�e en studio, si je ne suis pas sur les rotules et que je n'ai pas les cheveux en p�tard, c'est que la journ�e a �t� mauvaise.

L'influence du rocker avant-gardiste am�ricain Captain Beefheart se fait encore ressentir dans Orphans.

Je ne ferais pas ce que je fais sans lui. Il est "le" pionnier. Son disque Trout Mask Replica (1968) nous a lib�r�s de la servitude. De la forme, de la structure, de la r�p�tition, des influences. Beefheart a lib�r� des oiseaux de leur cage.

Votre musique s'est aussi de plus en plus ouverte � l'Europe. Au compositeur allemand Kurt Weill notamment.

En fait, je l'ai d�couvert tardivement. Des copains m'ont dit de l'�couter, car ils trouvaient que ma musique ressemblait � la sienne. Vous savez, je ne connaissais m�me pas la musique celtique alors que je suis d'origine irlandaise.

Vous enregistrez d�sormais pour un label ind�pendant, Anti, apr�s Asylum et Island. Quels en sont les avantages?

Les gars sont tous des musiciens et ils ont l'�me punk. Je suis parti d'Island parce que Chris Blackwell, qui m'avait sign�, avait vendu son label et n'y �tait plus impliqu�. Je n'avais plus rien � y faire. Blackwell m'avait accueilli au moment de Swordfishtrombones (1983, commercialis� plus d'un an apr�s son enregistrement). Asylum ne voulait pas de ce disque. On m'avait dit : "Tu vas perdre tous tes fans sans en gagner aucun."

Ce "suicide commercial" a sans doute sauv� votre carri�re. Avec Asylum, vous �tiez devenu un st�r�otype: le "Bukowski du rock".

Le probl�me, dans ce m�tier, c'est que si vous n'avez pas d'image vous �tes dans la merde. Et si vous en avez une, vous �tes toujours dans la merde ! Car cette image n'est construite qu'� partir des souvenirs des gens. C'est surtout ma femme Kathleen Brennan qui m'a sauv�. Je me suis mari� et je me suis rang�. Elle a les pieds sur terre et sait tout faire : p�cher, r�parer la voiture ou la maison.

Notes:

N/A